C’est au tour cette fois de Philippe Moës de se prêter au jeu de nos questions, avec la sortie de son nouvel ouvrage « De perles et feu » aux éditions du Perron. Bien plus qu’un simple photographe, Philippe est un auteur complet, puisqu’il écrit aussi les textes de ses livres, dans un style très poétique.
Adepimage: Salut Philippe, on se croise régulièrement sur les forums de photo nature et dans les festivals, mais peux-tu te présenter rapidement:
Philippe Moës:
Salut Christophe. En résumé je dirais qu’au départ, c’est la nature qui m’a attiré vers la photo et non l’inverse. J’ai commencé de manière totalement autodidacte il y a plus de 20 ans, avec des moyens vraiment ridicules (genre 135mm – plein format à l’époque bien sûr- pendant 3 ans pour des photos -floues- de chevreuils, mes premiers sujets) et des connaissances vraiment nulles en matière de prise de vues. J’ai donc perdu énormément de temps en termes de résultats-photos (pas en termes de connaissances naturalistes heureusement).
Au fil des ans, mon obsession beaucoup trop exclusive des cervidés a fait place à un désir d’aborder tout ce qui touche à la forêt, puis à en sortir petit à petit.
Je reste donc naturaliste au sens large avant d’être photographe et même si j’ai forcément quelques sujets de prédilection, mon approche se veut actuellement la plus polyvalente possible (mammifères, oiseaux, paysages et macro).
Dans ce même souci de polyvalence, jusqu’ici j’ai toujours produit à la fois les images et les textes de mes cinq ouvrages.
Côté sensibilité, je cherche autant que possible à donner autant d’importance au milieu dans lequel se trouve le sujet qu’au sujet lui-même ; j’ai une prédilection pour la traduction d’ambiance et lumières particulières, ainsi que pour les paysages animaliers. Ce sont ces images qui, à mes yeux, traduisent le mieux une émotion vécue sur le terrain, même si bien sûr je ne dédaigne pas les portraits, quoique plus « classiques » à mes yeux.
Adepimage: Tu viens de publier ton 4ème livre, dans la droite lignée du précédent » Ardenne, de sève et de sang » peux-tu nous le présenter?
Philippe:
Comme « Ardenne de sève et de sang » dont il constitue en quelques sorte la « suite », c’est un livre à la fois de texte et d’images, même si cette fois j’ai laissé tomber le volet pédagogique pour ne garder que celui narratif, voire contemplatif.
Les perles évoquent, pour les images, l’eau sous toutes ses formes (neige, brume, pluie, rosée, plan d’eau, glace…) et pour les textes, des perles de souvenirs. Le feu quant à lui, fait référence aux couleurs des aubes et crépuscules colorés que j’apprécie particulièrement, ainsi qu’au feu de la passion pour les récits.
C’est donc un recueil plus artistique que les précédents, dans lequel une attention particulière est apportée aux ambiances.
Adepimage: Pour cet ouvrage, on sent un penchant encore plus prononcé pour les lumières chaudes, vaporeuses, éphémères… Qu’est-ce qui t’attire dans ces ambiances souvent fugaces?
Philippe:
C’est une question de sensibilité personnelle avant tout, elle-même liée à un ensemble de choses, un peu trop longues à détailler ici…
En résumé, je dirais qu’à partir du moment où j’éprouve sur le terrain infiniment plus d’émotion devant un lever de soleil dans la brume à contrejour ou un paysage dans le brouillard que devant un soleil pétant et un ciel bleu, ce sont ces émotions que je dois essayer de traduire, par les images comme par le texte.
Au-delà de cela, la quête de la rareté –car par définition les lumières éphémères sont rares- a aussi un sens ; les moments qui y sont associés sont forcément plus forts que tout autre et clairement, il est bien plus difficile d’associer présence du sujet, au bon endroit, dans un beau décor et dans une lumière rare que de réaliser une « simple » image d’un sujet déterminé, fut-ce un gros plan parfois également assez difficile à réaliser.
Bref, je ne dirais pas que je cherche la difficulté, mais il y a sans doute un petit goût de « défi » quand même…
Adepimage: Comment t’es venue l’idée de ce livre?
Philippe:
Je suis du genre à me remettre souvent en question et depuis la parution de mon premier ouvrage -qui pourtant était censé être un « one shot » dans mon esprit au départ-, j’ai réalisé que la confection de livres devenait pour moi l’ultime but de mon activité photographique, celui qui me donnait le plus de plaisir et qui parfois, pouvait également se montrer utile (cfr volet didactique dans « Ardenne » et volet éthique dans « La photographie en forêt –Pratique-Ethique»).
J’ai donc continué à réaliser des clichés dans mon domaine de prédilection –faune et paysages de chez nous-, tout en sortant volontairement un peu plus du domaine forestier dans lequel je ne voulais pas m’« enfermer ».
Le souci de valoriser notre patrimoine local m’habite également depuis le début et se retrouve une fois encore dans ce dernier ouvrage.
Par ailleurs, j’ai toujours été fasciné par l’eau et le fil conducteur que tu connais s’est donc dégagé.
Adepimage: Photographiquement parlant, quels en sont les moments clés pour toi?
Philippe:
Le moment charnière pour la réalisation d’une bonne partie des images présentées a certainement été la possibilité de faire enfin de l’affût flottant, avec un rendement photographique incomparable à la clé !
Concernant les images les plus fortes pour moi, je citerai avant tout celle du grand duc en plein massif forestier, en particulier le cliché chanceux où on le voit dévorer une buse qu’il vient de capturer sur un tronc moussu dans la forêt détrempée, situation et ambiance inespérées…
La plupart des autres images ont par contre été « construites » dans ma tête avant de les réaliser sur le terrain et pour celles-là bien sûr, le moment a été fort également ; je pense aux silhouettes se découpant à contrejour dans les « feux de brume » ou dans le ciel, aux tant attendues rencontres avec le chat sauvage, au cerf dans le brouillard, aux séquences de pêche de la garzette, à la halte des grues dans une tourbière ardennaise embrumée…
Adepimage: Ton travail photographique est aussi complété par celui d’écriture puisque tu rédiges tes textes, et qui du coup constituent un ensemble très complet et d’autant original. Un choix engagé? Un besoin d’aller au delà des images ou un complément naturel pour toi?
Philippe:
Il est vrai que jusqu’ici, je mets un point d’honneur à réaliser autant les textes que les images de mes ouvrages; ce n’est pas l’option la plus facile, mais il y a plusieurs raisons à ce choix délibéré.
D’abord, j’ai beaucoup d’admiration pour les rares personnes qui conjuguent talent photographique et littéraire. A cet égard, des livres comme « Avec les loups » de Jim Brandenburg ou « Terre de renard » de Fabrice Cahez sont pour moi des références en la matière depuis des années (l’ultime référence en texte naturaliste étant pour moi Maurice Genevoix).
De cette vision des choses a logiquement découlé ma volonté de présenter des ouvrages « complets », traduisant cette polyvalence évoquée plus haut et que je cherche à cultiver dans divers domaines. Par ailleurs, en passant, je rechigne moi-même à acquérir un beau livre si ce n’est pas pour m’y « plonger » au moins une heure…
Reste donc à chaque fois pour moi le problème épineux de trouver le fil conducteur de mes livres ; et si c’est plus ou moins « facile » d’aligner des images les unes à la suite des autres, je dois bien avouer que quand il s’agit de « se donner » au travers de l’écriture, on en vient parfois à la notion de défi… Et c’est là un autre aspect de mon travail et de ma perception des choses, fidèle au principe selon lequel la satisfaction personnelle est d’autant plus grande que l’effort fourni a été grand. Non, ce n’est pas du masochisme…(rires).
Par ailleurs, par le texte, je considère que certains messages importants, non visibles dans les images, peuvent passer ; c’est ainsi que dans certains des ouvrages précédents, j’ai délibérément prévu des volets pédagogiques (mais pas dans ce dernier ouvrage, que j’ai voulu purement narratif).
Enfin, je pense que les mots sont un bel outil pour asseoir le caractère personnel d’un livre, qui dès lors reflète l’auteur à 100 %.
En outre, sur le plan purement sentimental, je sais que cela fera de chouettes souvenirs pour moi et de fidèles témoignages pour mes enfants, au moins…
Deux extraits choisis par l’auteur, délibérément différents :
1) « Six heures. La pluie, battante depuis deux jours, fait place à la bruine. En principe, le soleil est passé au-dessus de l’horizon, mais la nuit résiste, faisant traîner son ombre sur la campagne et le doute quant à l’issue de son duel avec l’astre du jour. En ce matin morose, sur la crête, le ciel rejoint la terre par endroits, accrochant çà et là des écharpes de nuages à la frondaison fraîchement garnie des grands arbres. Sur les limbes tout neufs, des perles d’eau se forment et se déforment ; certaines tardent à plonger dans le vide, d’autres se laissent emporter en masse vers leur destin, offrant au passage un apaisant concert à l’oreille réceptive. Mais ce matin je n’ai pas l’âme mélomane. Je suis venu pour le chat et depuis un moment déjà, ces gouttes me contrarient, me saoulent. Je m’impatiente. L’eau s’est infiltrée dans mes vêtements et insidieusement, la grisaille alentour a fini par s’inviter dans ma tête. Bon sang cette autre lisière que je surveille depuis le début du printemps est pourtant fréquentée par un sylvestre ! »
2) « Octobre, le rouge. Rouge, comme les feuilles d’arbres se couvrant de leurs plus beaux atours, vite, avant d’être arrachées par le vent et précipitées vers le passé.
Rouge, comme le sang des grands animaux de chasse, sacrifiés pour que se perpétue la forêt. Octobre, mois de contrastes. Tantôt indien s’accrochant à la douceur des souvenirs d’été, tantôt frisquet et déjà habillé d’hiver, il souffle le chaud et le froid, distille son incertitude, hésite entre le choix des armes. Octobre et les cœurs s’emballent ; tout nous ramène à l’essentiel. Comment rester insensible à ces contrastes, dans nos yeux, dans nos âmes ? Comment ne pas s’émerveiller de la forêt, belle à mourir, sans penser qu’une année de plus touche à sa fin, nous rapprochant lentement mais sûrement de la nôtre ?
Jeune, on ne compte pas les octobres. Un peu moins jeune, on devient meilleur comptable. Vieux, on sait compter, mais il est souvent trop tard… »
Adepimage: Est-ce un avantage selon toi d’écrire ses textes pour trouver un éditeur? Comment réagissent-ils par rapport à ton style d’écriture plutôt poétique?
Philippe:
J’ai eu le privilège de travailler avec 6 éditeurs différents et très sincèrement, je pense que le texte a joué un rôle prépondérant, non seulement quant à sa présence en quantité assez importante (tous les éditeurs rencontrés souhaitaient du texte) mais aussi quant au contenu, au point d’ailleurs d’avoir eu le privilège de voir traduire un des livres en allemand et de recueillir de temps à autre des recension très positives concernant les écrits (dont une toute récente dans une revue littéraire, ce qui me va droit au cœur vu l’investissement en la matière
Adepimage: Tu as une actualité chargée pour présenter ton ouvrage, peux-tu nous en dire plus?
Philippe:
Effectivement l’ouvrage est bien accueilli et c’est évidement très rassurant (la « valeur » de ses images, un photographe peut la juger tant bien que mal, mais pour les textes, c’est vraiment une crise de confiance à chaque « naissance »…). Après quelque recensions, articles et émissions diverses, l’aventure continue avec plusieurs expos dédiées au livre : « Festival Nature de Namur 2010 », une expo à Bruxelles en décembre, les « Rencontres Natur’images » dans les Vosges au printemps 2011…
J’ai aussi le privilège cette année d’avoir été choisi cet automne comme « ambassadeur » par Canon pour co-animer la journée « Canon Eos Discovery » d’octobre et y présenter quelques images et le livre. Une reconnaissance qui fait plaisir!
Adepimage:Penses-tu déjà à un prochain livre?
Philippe:
J’ai plusieurs idées en tête, car les livres sont devenus pour moi une véritable raison de vivre; par contre entant que photographe amateur ayant un travail à temps plein à assumer dans un tout autre domaine que la photographie et par-dessus le marché des enfants en bas âge avec lesquels vivre des moments précieux, je ne me fais pas d’illusion quant au temps qui va me manquer pour avancer comme je le voudrais dans ces projets…
Mais bon, un temps pour chaque chose ! Vivre l’instant présent, telle est mon ambition première, souvent bien difficile à concrétiser malheureusement…